Voir ou ne pas voir l’exposition CAPITALE(S), 60 ans d’art urbain à Paris ?
29 octobre 2022J’ai décidé de me poser directement la question et de rentrer dans le vif du sujet ! Parce qu’entre vous et moi ; une ville qui peut punir jusqu’a 30 000 euros d’amende les graffeurs et invite même à les signaler, n’est pas nécessairement la mieux placée pour faire une exposition mettant en avant et glorifiant ces « vandales » des rues que sont les graffeurs et artistes urbains ! A moins que… A moins qu’il n’y ait un peu de récupération politique ! Il y a quelque chose d’ambivalent, d’anachronique, voire de schizophrène dans tout cela non ? Très sincèrement je n’avais pas prévu d’y aller, ni même d’écrire un article sur le sujet ; mais voilà j’aperçois, au détour d’un article, que le commissariat de l’exposition est composé de : Marko93 , talentueux graffeur du 93 reconnu internationalement – Elise Herszkowicz, qui avait réalisé un magnifique travail de curation lors de l’expo éphémère L’Essentiel Paris – Nicolas Laugero-Lasserre, féru collectionneur d’art urbain, fondateur d’ART 42 et co-fondateur de Fluctuart et Magda Danysz, galeriste internationale spécialisée dans l’art contemporain représentant de plus en plus de talents urbains. Une équipe de choc ! Qui plus est, l’exposition est gratuite, ce qui correspond à ma ligne éditoriale, et je me dis selon le vieil adage que seul les idiots ne changent pas d’avis. Reste tout de même cette drôle d’ambivalence qui me chiffonne un peu…
Premiers pas dans 60 ans d’art urbain au cœur de l’Hôtel de Ville de Paris
C’est en oubliant mes considérations que je rentre avec une foule assez dense dans cette rétrospective qui fait écho à ma passion. Je m’interroge sur le cheminement que va offrir cette exposition hors-norme qui est en quelque sorte une reconnaissance officielle d’un mouvement artistique libre qui ne cesse de s’amplifier et d’évoluer !
Après avoir grimpé quelques marches c’est avec un plaisir non dissimulé que je retrouve les pionniers de l’art urbain ! L’écriture socio-politique de Jacques Villeglé est une magnifique introduction aux travaux de Gérard Zlotykamien, Blek le Rat, Miss Tic, Jérôme Mesnager, Jef Aérosol,… Joli préambule qui s’accompagne d’une œuvre in situ de Zloty : quel cadeau !
Le parcours de cette incroyable exposition va donc être chronologique ! Comment en aurait-il pu être autrement ? Pour comprendre l’arrivée explosive du graffiti en France ce sont des centaines d’archives que sont allés rechercher les commissaires de l’exposition. La naissance des premières « crews » en 1983, les blocks partys mêlant DJ, danseurs et graffeurs dans les friches du Nord de Paris. L’échange prolifique entre les graffeurs New-Yorkais et ceux d’île de France ; échange qui va conduire bon nombre d’artistes à déserter les palissades pour investir les camions du marché de la Chapelle ou encore le métro Parisien. Le fantastique et scandaleux ravage de la station de métro Louvre le 1er mai 1991…
Cette chronologie du graffiti illégal est saisissante ; on perçoit le mouvement qui évolue, s’étoffe. On découvre l’adoption de nouvelles techniques, des lettres de plus en plus structurées. L’exposition nous offre à voir les sketchbooks – carnets de croquis -, les plaques de métro colorées et même un procès verbal détaillant avec connaissance le lettering du « vandal » Cokney posé sur le wagon d’un métro Parisien.
Tout est là ! Les légendes urbaines prennent vie devant nos yeux. Point de fantasme, une porte ouverte vers ce qui a été et ce qui est encore puisque certains graffeurs à l’honneur comme Psychoze Nolimit continue inlassablement à graffer dans les catacombes, les rues de Paris et sur les murs de l’exposition pour notre plus grand plaisir !
Après une bonne heure passée à étudier, scruter, admirer ces pièces d’archives, je me décide à descendre de la passerelle pour accéder aux grandes salles du bas. La scénographie est plus que léchée et l’escalier nous menant vers la suite de la découverte est, comme il se doit, graffité à souhait ! Je souris au passage en découvrant la signature de Dizer qui fait partie aux côtés de JonOne, Psy, Joey Starr, Cope2, Faust,… d’une crew d’anthologie : les 156Allstarz !
Du graffiti vers l’art conceptuel, figuratif, narratif,…
En arrivant dans les salles d’expositions, on sent que la narration change de braquet. On passe du plus pur graffiti « old style » à de nouvelles formes d’expressions. Certains artistes urbains font évoluer leur style vers un monde plus abstrait quand d’autres s’attachent à un concept décliné à l’infini. L’art urbain à Paris est en pleine explosion et donne à voir au public de nouveaux mediums. Mosaïques, collages, peintures aux pinceaux, muralisme, viennent s’additionner au classique aérosol et aux stickers déjà bien utilisés.
La présentation des œuvres est plus aérée et de petites alcôves (et petites pièces) permettent de présenter dans une atmosphère moins explosive les initiatives autour de l’art urbain. On note la présence de l’hôpital éphémère, le projet de la galerie itinerrance, Boulevard Paris 13, ou encore une magnifique vidéo présentant tous les artistes ayant signés l’iconique mur Oberkampf.
Les pièces sont grandes et offrent le recul nécessaire pour admirer les œuvres réalisées in situ juxtaposées aux œuvres choisies, sur toiles, volets roulants, panneaux de bois, ou encore vitraux. Les grands noms de l’art urbain parisien sont présents, Kashink, Levalet, L’Atlas, André, Seth GlobePainter, Kraken, Invader,…
Dans les deux premières pièces la signature graffiti est toujours présente et l’ingénieuse « GraffBox » inventée par Cristobal Diaz ; une boîte lumineuse permettant de capter le geste du graffeur est de loin mon coup de cœur. Elle permet au public de découvrir au format vidéo la précision du geste et le niveau de technicité nécessaire à la réalisation de son blaze.
Certes, certains artistes manquent à l’appel ! Mais devant l’ampleur de la tâche, il est fort probable que les commissaires de l’exposition aient eu à faire des choix cornéliens. Il n’en reste pas moins que la scénographie est dynamique, variée et extrêmement riche en propositions.
Quand Art de rue et Art Contemporain ne font plus qu’un !
L’exposition se finit en apothéose ! La dernière salle est d’un contraste saisissant ! D’un côté des graffitis XXL ultra stylisés et colorés (Cf. couverture de l’article) de l’autre une juxtaposition d’œuvres qui ancrent l’art urbain dans l’art contemporain. La ligne éditoriale des commissaires d’exposition nous a conduits de l’envie d’exister des graffeurs jusqu’à une composition dense et presque muséale. On retrouve en premier plan une œuvre de Madame, en second l’artiste Philippe Baudelocque, le tout entrelacé avec les légers filins de l’artiste contemporain cinétique Sébastien Preschoux.
Ces 60 ans d’art urbain Parisien se finissent sur une note contemporaine indéniable. Mais voilà qu’en fin de cheminement je réalise que je n’aurais pas écrit tout à fait la même histoire. Car il y a comme un sentiment de trop parfait, trop institutionnalisé qui plane dans l’air. L’imprévu au coin de la rue a laissé place au structuré et au soigné. Le geste instinctif et rapide de l’artiste de rue devient lisse. Malgré une scénographie qualitative , une présentation ultra-vivante ; je ne sais pourquoi mais j’ai cette désagréable sensation que la fraîcheur de l’art urbain a été mise en boîte.
Et l’art contestataire dans tout ça ?
Sortie de l’exposition, je marche au soleil le long des quais et je réfléchis à la ligne éditoriale, au choix des artistes,… Depuis 1990, date de mon arrivée officielle à Paris pour étudier, j’ai usé mes semelles dans toutes les friches, les squats, les spots d’art urbain… Je pense alors, avec un pincement au cœur, aux artistes qui n’ont pas été sélectionnés par le commissariat d’exposition. Plus j’avance et plus je me rends compte que parmi ces artistes beaucoup sont contestataires. Si d’un côté l’art urbain Parisien s’est institutionnalisé il n’en reste pas moins que de talentueux artistes continuent à poser leurs œuvres pleines de sens sur les murs de Paris.
Mes pas me portent systématiquement dans des quartiers qui sont historiquement liés à l’histoire du graffiti ; La Chapelle, Stalingrad,… Dans ces quartiers depuis plus de 10 années les artistes urbains viennent poser des œuvres qui interpellent, des œuvres qui parfois choquent et font froid dans le dos, des œuvres qui laissent entendre une voix du peuple.
Il y a comme un grondement qui s’amplifie en moi. L’Hôtel de Ville, temple de la République dans un pays où la Liberté d’Expression est un droit fondamental n’a pas laissé sa place aux mots / maux du peuple ! Il est fort probable que ce soit un simple oubli, qu’emportés par une ligne éditoriale forte, les commissaires d’expositions se soient éloignés de la rue et rapprochés des institutions. Tout choix étant subjectif, je ne peux pas critiquer les leurs, mais simplement constater que je n’ai pas, avec ma sensibilité, tout à fait la même lecture de l’art urbain Parisien sur ces 32 dernières passées dans la capitale.
J’aurais adoré découvrir en conclusion de cette exposition une porte ouverte vers l’art contestataire d’aujourd’hui et d’hier. Voir des œuvres de PBoy, du Collectif très controversé Black Lines Community ou encore l’irrévérencieux Goldofuck de Pimax. Oui, j’aurais adoré voir en conclusion ce que l’art urbain apporte réellement à notre société qui ne soit pas nécessairement que du beau !
Voir ou ne pas voir l’expo CAPITALE(S), 60 ans d’art urbain à Paris ?
La question ne se pose même pas, comment pouvez-vous imaginer que je vous conseille de ne pas aller voir une exposition qui a nécessité un travail de recherche pharaonique ? Même si certains artistes manquent à l’appel, même si je n’ai pas tout à fait la même lecture de l’art urbain Parisien. Cette exposition est une reconnaissance pour tous ces artistes de l’ombre qui oeuvrent depuis des années, contre vents et autorités, dans les rues de Paris. Cette exposition est la reconnaissance du plus grand mouvement artistique du XXIème siècle. Non Paris n’est pas, selon mon avis, la capitale mondiale de l’art urbain mais elle a l’honnêteté de reconnaître le côté artistique de cette pratique souvent illégale. D’ailleurs il serait bon que l’organisation traduise les cartels en Anglais 😉 Car il me semble que l’art urbain est international non ?
Mon seul conseil est de vous régaler, prenez un ticket gratuit sur le site de la Ville de Paris et régalez-vous pendant deux heures ! Ensuite respirez et dirigez-vous vers le Spot 13 qui vous offrira une bonne dose d’art urbain Parisien en plein air avec toute l’explosion créative qu’il a à vous offrir !
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J’enfile une nouvelle paire de Baskets et promis ma prochaine aventure Street Art sera en plein air !
A très bientôt
Séverine
J’ai lu votre article avec beaucoup d’attention parce que j’ai ressenti le même sentiment d’ambivalence lors de la visite de Capitale(s). L’art urbain mis en boîte, une certaine institutionnalisation de cet art parfois contestataire et pourtant on ne peut pas nier que c’est extrêmement bien documenté, présenté et que par là c’est un aveu de reconnaissance de ce courant majeur.
Merci Laurence de votre commentaire. Je dois avouer que cet article n’a pas été facile à rédiger, car le sentiment d’ambivalence que vous évoquez est resté présent tout au long de ma rédaction ! J’essaye toujours, pour ce type d’exposition de poser un regard bienveillant, car je sais pertinemment que le travail qui est réalisé en amont de l’événement est colossal… Il est probable que l’exposition aurait eu une autre couleur si la mairie avait moins fait appel à des galeristes et collectionneurs et plus à des artistes du mouvement. Peut-être aurait-on eu un sentiment moindre quant à la mis en boîte. Il n’en reste pas moins qu’elle est exceptionnelle et comme elle est prolongée jusqu’au 3 juin, j’espère qu’elle rencontrera le succès qu’elle mérite et que le regard porté sur ce courant artistique sera lui aussi un peu plus bienveillant 😉 Merci encore de votre retour. Séverine
Merci pour votre article. Je ne savais pas trop a quoi m’attendre concernant cette exposition. Ca m’a donné envie d’y aller lors d’un prochain passage à Paris !
Alexis, merci de votre retour, si vous passez à Paris, l’exposition vaut vraiment le coup; car nous ne reverrons pas de sitôt de telles archives sur le graffiti et l’art urbain à Paris ! Et surtout n’oubliez d’aller visiter le Spot 13 ou encore le Tunnel des Tuileries qui devraient vous ravir. Une très belle journée à vous. Séverine
Merci pour votre article, très complet et très bien renseigné !
j’y cours pensant y voir aussi « Vision », Montreuillois comme moi …
Merci Juliette pour le retour sur l’article. Si mes souvenirs sont bons Vision a bien été intégré à l’exposition ! Vous allez vous régaler ! Bonne visite 😉
Super article, merci, j’ai pris un plaisir immense a vous lire !
Merci Sylvie, votre commentaire me touche beaucoup et j’espère sincèrement que les prochains articles vous plairont tout autant 🙏😁❤️