Le Street Art à Port de Bouc est évocateur de sentiments, profondément humaniste
23 septembre 2022En allant découvrir le Street Art à Port de Bouc, je n’avais aucune idée de ce que j’allais y trouver. Il faut dire que ce petit port au charme désuet est coincé entre la raffinerie de Fos-sur-Mer et le port de Martigues… Les vues vers la mer sont plutôt industrielles et sur les collines avoisinantes les logements ont poussé comme des champignons en automne. Le petit port souffre donc de cet environnement pesant et a vraiment du mal à respirer. Mais voilà que depuis trois années le Festival Les Nouveaux Ateliers a commencé à habiller les murs de Street Art et ma curiosité grandissante m’a poussé à aller voir sur place ce qui se passait. Quelle n’a pas été ma surprise en découvrant les premières œuvres ! Une sélection d’artistes qui ne ressemble à celle d’aucun autre festival. Un Street Art qui tire sérieusement vers une peinture contemporaine figurative emprunte d’humanisme,… aussi j’ai eu envie d’en savoir plus et j’ai donc contacté Rémy Uno du collectif Lartmada en charge de la Direction Artistique du Festival.
Le Festival Les Nouveaux Ateliers : généreux, populaire et narratif
Ce sont les trois adjectifs choisis par Rémy Uno pour décrire le Festival. L’exercice n’était pas facile et son choix a parfaitement fait écho au sentiment que j’ai eu en me baladant dans les rues. Tout a commencé en 2000 avec un projet réalisé pour le centre d’art ; Rémy accroche avec Laure, la dirigeante, et ils se mettent à évoquer le projet d’un MUR comme beaucoup de villes en ont.
Les discussions évoluent et le maire de la ville, adepte dès le 1er projet, rentre dans la boucle. Il n’y voit pas une opportunité touristique comme d’autres villes, mais plutôt la possibilité de redessiner les contours de celle-ci, de lui amener de la couleur et encore plus offrir aux habitants un espace de vie plus agréable.
Rémy me le dit au téléphone, les réflexions ont évolué et main dans la main ils ont décidé qu’à plus grosse échelle avec beaucoup de bonne volonté ils pouvaient y arriver. Les partenaires de la mairie mettent à disposition des nacelles, le propriétaire du camping, Georges, héberge les artistes, les restaurateurs leur font à manger,.. à force d’huile de coude et de bénévolat, le Festival Les Nouveaux Ateliers est né !
Pourquoi Les Nouveaux Ateliers ? Tout simplement en référence au chantier naval appelé les Ateliers de Provence, un chantier fondé en 1899 et qui pendant plus d’un-demi siècle a construit plus de 200 bateaux et donné beaucoup de travail aux villageois. Sa fermeture a marqué la fin d’une époque pour la ville et l’arrivée du festival, un nouveau souffle.
En fait vous l’avez compris, Port de Bouc n’est pas une ville riche et réellement les stars de ce Festival sont les port de Boucains qui ont accueilli avec une immense générosité des artistes locaux, nationaux et internationaux. Sans eux rien de tout ce que vous allez découvrir maintenant n’existerait !
Se reposer ou s’insurger avec Helen Bur
Si j’ai décidé de commencer par Helen Bur, artiste britannique, c’est pour vous montrer d’entrée de jeu que le Street Art à Port de Bouc est résolument ancré dans l’humain. Cette artiste n’utilise pas de bombe aérosol mais des brosses et des pinceaux afin de réaliser ses œuvres. Dans un style purement figuratif elle arrive à modifier notre perception de scènes de la vie quotidienne. Au premier coup d’œil son œuvre nous fait penser à une sieste géante ; ce qui serait plutôt logique en bord de mer. En observant la position des corps, les quelques objets représentés, notre perception change et on imagine plutôt une protestation silencieuse avec des manifestants qui ne sont pas prêts de s’en aller. Elle a d’ailleurs réalisé plusieurs toiles qui reprennent cette même mise en scène et les a baptisées « Die » (mort) ou encore « révolution ». Une artiste contemporaine à suivre sur les murs ou en galerie.
Atterrissage dans la vie, la vraie, avec Bom-K
Quand on observe une œuvre de Bom-K on a tendance à rentrer dans son esprit et on a vraiment du mal à imaginer qu’il a débuté sa carrière de graffeur dans les rues en réalisant des lettrages inspirés des « big names » américains. Son travail n’a eu de cesse d’évoluer vers une introspection parfois très sombre et aussi vers une recherche de vérité en montrant le monde tel qu’il est : violent, rugueux, parfois effrayant, souvent sale. Sous la chair de ce visage, on devine la mâchoire, les os. La peau est martelée, abimée, le temps a laissé sa trace. Ce portrait est à la fois brut et poétique, il donne à réfléchir, même à rêver ! Cet artiste incarne à merveille ma défense des graffeurs qui sont souvent dénigrés. En les laissant grandir plutôt qu’en les effaçant, nous aurons encore à l’avenir de magnifiques œuvres dans nos rues.
Plonger dans l’enfance avec Elisa Capdevila
Cette jeune artiste espagnole n’a de cesse de représenter l’enfance, l’adolescence, mais pas nécessairement la légèreté ou l’innocence. Elle fige par ses œuvres des moments de silence dans lesquels, une attitude, un regard, expriment en délicatesse un sentiment. Il y a dans le regard de cette petite fille à la posture timide une certaine inquiétude, une petite dose d’appréhension qui rend la scène intéressante. Après quelques recherches j’ai découvert qu’Elisa Capdevila utilisait principalement d’anciennes photos de famille comme modèles à ses œuvres. Elle fait donc revivre ses scènes de vie en version XXL. Et je ne vais pas vous cacher que cette petite n’est autre que l’artiste ! Une artiste, qui comme beaucoup, commence sa carrière par une longue introspection.
Retour au dynamisme et au mouvement avec DIFUZ
Comme j’ai un peu peur que vous ne trouviez le Street Art à port de Bouc un peu trop intello ou introspectif, j’ai décidé de casser le rythme de l’article. Rien de tel que la scène en lévitation de Diego Konicheckis alias Difuz pour vous redonner la pêche. Il a créé celle-ci en discutant avec les habitants et a imaginé une réunion de quartier où les cultures se mélangent dans la joie et la bonne humeur. Dans ses personnages en mouvement, aux origines variées, on sent tout de même quelques traits caractéristiques de la culture hip-hop. En regardant les détails de cette fresque au pinceau, on entend presque la musique et le brouhaha de la vie.
Rentrer dans l’univers fantastique de MAYE
Quand au loin j’ai aperçu cette œuvre de Maye je n’ai pu m’empêcher de penser à son œuvre représentant Georges Brassens à Sète. Mais voilà en me rapprochant, j’ai compris qu’ici le sujet était plus grave. Le marin s’étiole, il s’abîme et son bateau en lévitation sur une mer asséchée nous fait comprendre que le port de pêche de port de Bouc est aux abois. Les industries lourdes autour du petit port ont eu raison des poissons et les marins ont petit à petit sombré. Le bateau s’appelle Georges non pas pour Brassens mais pour rendre hommage au propriétaire du camping qui accueille chaque année les artistes avec grande bienveillance.
Tout l’humour de BRAGA dans une ruelle de Port de Bouc
Je ne sais pas pourquoi mais cet artiste autodidacte m’amuse. Certes comme beaucoup d’artistes il s’inspire des éléments urbains environnants avant de poser son œuvre. Mais à chaque fois, je vois dans le travail de Braga une pointe d’humour. Ici comme au Clos du Chêne il joue avec les lieux. La ruelle est étroite, la gouttière bien apparente ; rien de bizarre donc à voir passer une chat de gouttière dans ce type d’environnement. Mais voilà le chat de Braga est géant, bondissant, il feule toute langue dehors ! Son anamorphose (comprendre réalisation en 3D) est parfaite et je trouve le contraste encore plus drôle quand on voit tous ces mignons chatons qui envahissent les réseaux sociaux. Je ne vais pas vous cacher que si je mets encore une fois en avant son travail c’est parce que je trouve qu’il y a aussi une très belle évolution technique. Les maîtres de la 3D n’ont qu’a bien se tenir ; notre Marseillais pourrait bien les surpasser 😉
Se voir dans un miroir avec Eloïse Gillow
Si j’ai choisi cette œuvre de l’artiste Anglaise Eloïse Gillow en couverture de l’article, c’est avant tout parce qu’elle me faisait penser à moi. À ces gestuelles que nous avons tous fait en premier lieu. Se cacher du soleil, se cacher les yeux pour ne pas voir une scène, baisser le regard,… Elle me faisait aussi penser à moi comme devant un miroir, les couleurs que j’aimais porter, la coupe de cheveux et même les traits du visage… troublant non ? Les « 5 façons de ne pas voir » d’Eloïse sont à la fois poétiques et dramatiques ; elles parlent aussi de déni, d’autoprotection. Son travail a quelque chose de très académique et aussi le petit je ne sais quoi en plus qui donne envie de suivre son parcours…
Assister à la solidarité masculine avec Rouge Hartley
Je pense que la proximité de la méditerranée nous laisse imaginer que l’on assiste à une scène de sauvetage de migrants. L’homme dont on ne voit pas le visage a les mains tuméfiées. Le poids de l’autre s’imagine par la courbure de son dos et les positions de ses mains. On sent la force déployée, le poids de l’entraide. Les corps de Rouge sont expressifs et les membres souvent puissants, quand aux visages ils ont tendance à disparaître ; ce qui laisse notre imagination vagabonder plus facilement. Si cette œuvre se situait loin de toute mer, on pourrait penser à deux hommes qui s’éloignent d’un accident de voiture. Un père qui porte son fils après une soirée difficile. Le sujet central de l’œuvre est bien la solidarité et le travail de Rouge toujours aussi puissant !
L’âme de la peinture avec Iota
Je suis restée sans voix devant ce visage suggéré de la jeune artiste Belge Iota. Je ne connaissais absolument pas son travail et c’est aussi pour ce point que je trouve la sélection du Festival passionnante. On a la sensation que l’artiste essaye de montrer l’âme de son modèle sans que l’enveloppe ne soit définie ou révélée. Il y a un travail brut qui dessine les épaules, le contour du visage et derrière celui-ci on voit la précision du regard. L’œuvre est saisissante et merveilleusement bien exécutée… Je suis certaine que dans quelques années Iota aura recouvert les murs de beaucoup de villes de par le monde !
L’âme du Festival révélée par Pablo Astrain
Je ne vais pas vous cacher que j’attends chaque nouvelle œuvre de cet artiste avec impatience ! Certes son style est figuratif, mais le fond de ses œuvres est souvent satirique, voire provocateur ! Cette scène m’a fait penser aux jeunes boxeurs des quartiers défavorisés à qui on collait des pièces gelées sur leurs coups pour arrêter les inflammations. Non je n’ai pas choisi de clôturer cette sélection avec Pablo Astrain parce que je suis « fan de »… Mais tout simplement parce qu’en postant son œuvre sur Instagram, son commentaire résume à la perfection Le Festival Les Nouveaux Ateliers. J’efface donc ma plume pour laisser place à la sienne :
« Appâts, magie et changements de main
Si tu mets sur une affiche « gratuit », tu t’assures que tout le monde la lise, nous sommes comme ça. Une vie libre sonne mieux, trouvez le truc. En ce moment quelque part un magicien prépare un joli programme électoral pour me tromper ; j’applaudis et j’en demande un autre. A Port de Bouc deux grands spectacles ont commencé il y a quelques années et ils n’ont pas trouvé la pièce. Rien dans mes poches, rien dans mes manches.
Merci à toute l’équipe du Festival les Nouveaux Ateliers de m’avoir reçu et de m’avoir rendu la vie si facile ça va ! !! Merci port de Bouc pour avoir pris le temps de réfléchir ! »
Aller déguster du Street Art à Port de Bouc ça vous dit ?
En fait si vous êtes dans le Sud et que vous aimez l’art urbain, ce serait une hérésie de ne pas y aller ! Sincèrement avec peu de moyens, un joli choix d’artistes – avec une parité hommes femmes rarement observée- ; le Street Art à Port de Bouc pourrait dans les années à venir rivaliser avec l’incroyable Festival de Boulogne-sur-mer ! La Direction Artistique a été réalisée avec finesse et le choix des œuvres narratives extrêmement judicieux pour la population et aussi pour nous les passionnés d’art urbain qui aiment se balader.
Le Festival Les Nouveaux Ateliers vous permettra de découvrir de jeunes talents, des talents locaux pas assez souvent mis en avant et vous prouvera qu’avec beaucoup de solidarité on peut réaliser de très très belles choses ! Si vous vous décidez, le plan des murs est en ligne sur leur site et surtout pensez à faire une pause pour grignoter sur le port !
Allez je repars vers de nouvelles aventures Street Art et bien entendu, si vous avez aimé, partagez ! 😉 En attendant le prochain article, vous pouvez me suivre sur Facebook, Instagram ou encore vous inscrire à ma newsletter qui est gratuite !
A très très bientôt
Séverine