Le Street Art à Gérone fait sens : participatif et solidaire, il met en avant la diversité avec délicatesse !

Le Street Art à Gérone fait sens : participatif et solidaire, il met en avant la diversité avec délicatesse !

24 janvier 2024 2 Par Séverine

Le Street Art à Gérone est loin d’être une attraction touristique majeure. Les édifices médiévaux des époques romanes, gothiques et baroques attirent plus le chaland que la peinture qui s’échappe d’une bombe ! Et je dois l’avouer pendant des années j’y suis allée avec plaisir pour me perdre dans les dédales de la vieille ville afin d’entrevoir les magnifiques trésors cachés derrière les vieilles pierres ! Mais voilà que depuis une dizaine d’années lorsque j’arrive à Gérone, je ne peux m’empêcher de voir que les espaces publics se remplissent d’œuvres colorées étonnantes. J’ai donc décidé d’aborder Gérone sous un autre angle, en oubliant la vieille ville et en me concentrant sur les quartiers alentours.

Street Art Gérone - oeuvre de l'artiste espagnol Blazy pour le Festival Monar't - Photo ©Altinnov.jpg

Blazy – Festival Monar’t Girona – Photo ©Altinnov

Subjuguée je l’ai été ! Contre toute attente deux festivals d’art urbain se télescopent dans la ville ! Et sincèrement il n’y a que peu de communication autour de ces événements… Une communication locale certes, mais qui n’arrive pas à nos oreilles ! J’ai été extrêmement étonnée de la teneur de ces œuvres tournées vers la population. Des petites œuvres aux œuvres XXL, il n’y en a pas une qui soit posée là pour faire décors… Il y a du sens et même quand on ne connaît pas l’histoire de ces festivals on comprend très vite que le Street Art à Gérone est fait pour souder la population, passer un message. J’ai donc décidé de mettre en avant ces deux événements, en commençant par le festival le plus récent qui m’a permis après quelques œuvres de comprendre la complexité du quartier dans lequel je me trouvais sans avoir lu aucune ligne sur celui-ci.

Gram21 - Graffiti - gérone - espagne - Photo ©Altinnov

Gram21 – Gérone – Photo ©Altinnov

 

Le Festival Monar’t célèbre la diversité culturelle

En me dirigeant vers les quartiers de Santa Eugènia et Can Gibert, je ne savais pas trop à quoi m’attendre, ni en terme de population, ni en terme d’œuvres. Dès la découverte des premiers murs peints, j’ai compris que nous étions dans un quartier populaire composé d’une grande diversité culturelle et donc ethnique. Chacune des œuvres croisées sur mon chemin me le rappelait. Le face à face monumental féminin réalisé par Ilich Romeiser, Marina et Ivan Yagoda en est une magnifique interprétation. La mixité de la population vient s’incruster dans les vêtements de ces deux femmes. Le passé sur la gauche, la jeunesse sur la droite ; une œuvre qui sonne comme un passage de relais générationnel sur fond de mixité sociale et raciale.

Street Art à Gérone - Oeuvre de Ilich Romeiser - Marina Yagova - Yvan Yagova

Ilich Romeiser, Marina & Ivan Yagoda – Festival Monar’t Girona – Photo ©Altinnov

 

Ce n’est pas le seul face à face féminin qui mette en avant la diversité. L’artiste Debra Espinosa a elle aussi représenté la diversité à sa façon ; plus graphique, ton su ton, l’œuvre a un petit côté rétro. En parlant de sa réalisation baptisée « Santa Eugènia de Ter », elle déclare : “Il ne faut jamais oublier d’où nous venons et toujours louer les ponts qui nous y ont menés”.

 

Oeuvre Street Art représentant deux femmes réalisée par Debra Espinosa à Girona - Photo ©Altinnov

Debra Espinosa – Festival Monar’t – Photo ©Altinnov

 

Quand on parle de mixité sociale et de quartier populaire en France on a vite fait de faire ce qu’on pourrait appeler un « raccourci clavier » ! Ici à Santa Eugènia de Gérone, plus de 79 nationalités sont représentées… C’est donc un véritable « melting-pot » venu de tous les continents et pays. Sont représentés l’Afrique du Nord et du Sud, l’Amérique Latine, l’Europe centrale et l’Europe de l’est,… Certains artistes internationaux comme Felipe Pincel, artiste Chilien, ou encore Kathrina Rupit alias Kinmx, artiste Mexicaine ont apporté leur propre représentation ethnique faisant résonance aux origines de certains habitants du quartier.

 

Street Art à Gérone - Oeuvre de Felipe Pincel artiste Chilien pour le Festival Monart - Photo ©Altinnov

Felipe Pincel – Festival Monar’t – Photo ©Altinnov

 

Street Artiste KIN MX à Gérone - mur peint représentant femme et papillons - Photo ©Altinnov

Kin Mx – Festival Monart – Photo ©Altinnov

 

Oriol Arumi, artiste de la région, a décidé de réaliser un hommage XXL à Tomas Avala, habitant du quartier qui jusqu’à ses 97 ans avait travaillé activement pour l’association des voisins de Santa Eugènia et avait défendu avec ferveur les jardins potagers qui sont toujours là à l’orée du quartier.

 

Tomas Ayala par Oriol Arumi - Festival Monar't Girona - Street Art - Photo ©Altinnov

Tomas Ayala par Oriol Arumi – Festival Monar’t – Photo ©Altinnov

 

Toujours avec cette même représentation de la diversité, on retrouve des styles artistiques complètement différents. Certaines œuvres comme celles d’Erna Toepfer, It’s mancho ou encore d’un artiste inconnu sont réalisées sous forme d’illustrations et pourraient même faire penser à de l’art naïf, cela amène une dose de douceur au quartier.

Fresque d'Erna Toepfer - Street art Girona - Photo ©Altinnov

It’s Mancho – Festival Monar’t – Photo ©Altinnov

 

fresque murale d'artiste inconnu ) gérone en espagne - Photo ©Altinnov

? – Gérone – Photo ©Altinnov

 

Erna Toepfer - art naif - street art spain - Photo ©Altinnov

Erna Toepfer – Festival Monar’t – Photo ©Altinnov

 

Dans un tout autre registre ; l’artiste Malpegados a pris le contre-pied de cette représentation. Il n’a pas souhaité choisir quelle nationalité ou représentation mettre en avant, il a donc décidé de réaliser un personnage chien qui regarde fièrement vers l’horizon un avenir certainement plus rose.

 

Street art Girona, oeuvre de l'artiste barcelonais Malpegados représentant un chien avec une chemisette imprimée nuage - Photo ©Altinnov

Malpegados – Festival Monar’t – Photo ©Altinnov

 

Bien évidemment comme dans tout quartier populaire on retrouve des enfants jouant au ballon dans la rue… d’autres plus grands, que j’ai croisé dans de petites rues étroites jouent également à des jeux, cette fois-ci, un peu moins licites… L’artiste qui l’a le mieux représentée dans les rues de Gérone est Enric Lucas, alias Greendel15, il l’a montre insouciante, joyeuse, joueuse et également désœuvrée dans la froideur de l’hiver.

 

Enfants à la plage - mer méditerranée - espagne - Gerone - Street art de Greendel15 - Photo ©Altinnov

Greendel15 – Festival Monar’t – Photo ©Altinnov

 

Enfants se réchauffant près d'un feu - street artiste Greendel15 - street art girona - Photo ©Altinnov

Greendel15 – Festival Monar’t – Photo ©Altinnov

 

D’autres thématiques d’actualité viennent interpeler l’œil des habitants. Certes le Festival paraît plus engagé socialement que politiquement, mais en filigrane derrière les œuvres ont peut deviner quelques prises de positions ou messages d’alertes. C’est le cas avec l’œuvre réalisée par R3spublica et ala degato qui représente une petite fille masquée sous les bouches d’aération d’un immeuble »… L’accroche « El planeta que dejamos » / La planète que nous laissons !

 

Oeuvre Street Art La Planète que nous laissons par R3spublica et Ala Degato à Gérone - Photo ©Altinnov

« La planète que nous laissons » – R3spublica & ala degato – Festival Monar’t – Photo ©Altinnov

 

En 5 éditions seulement, le Festival Monar’t a réussi a changer le visage d’un quartier ; chaque année, avec les associations, celui-ci est devenu un moment de vies partagées attendu. Les habitants du quartier participent à certaines œuvres, animent des activités, y participent,.. C’est un réel moment d’union et de partage qui se termine par un grand Festival des Cultures et de la Diversité. Mais comme je vous l’ai annoncé en préambule de l’article, ce n’est pas la seule facette Street Art de Gérone !

 

Oeuvre communautaire & participative à Gérone - llukutter street artiste - Photo ©Altinnov

Oeuvre communautaire & participative – Llukutter – Festival Monar’t – Photo ©Altinnov

 

Avec le Milestone project, le Street Art à Gérone s’internationalise pour devenir muséal

Le Milestone Project n’a jamais caché son ambition et dès la 1ère édition ils ont annoncé la couleur : créer un musée à ciel ouvert avec des artistes internationaux… Selon leurs mots des « big names » ! Étonnamment, cette année le Festival n’a pas eu lieu à Gérone mais à Ripoll, petite ville se situant dans les basses Pyrénées… Leur site web qui jusque là nous montrait un plan des œuvres parfaitement élaboré est devenu statique et se focalise également sur Ripoll… Comme il m’a été impossible de savoir ce qui se passait, je me suis dit que j’allais juste vous montrer le contraste avec les œuvres réalisées dans le cadre du Festival Monar’t.

 

Street Art Gerone - oeuvre XXL de Erica il Cane reprsentant la cocollona, un animal mi-crocodile mi-papillon faisant partie des légendes catalanes - Photo ©Altinnov

Erica il Cane – Milestone Project – Photo ©Altinnov

 

J’ai décidé de commencer par l’immense œuvre… ou plutôt devrais-je dire « l’énorme »  réalisée par l’artiste Italien Erica il Cane dès la 1er année du Festival en 2012 ! Le ton et l’ambition étaient donné et d’ailleurs certains habitants ont été étonnés à l’époque de voir que la réalisation de la Cocollona, animal symbolique de Gérone et des légendes catalanes était confiée à un Italien ! Aujourd’hui la couleur de l’œuvre est un peu passée mais elle reste gigantesque et surplombe le pont de la voie ferrée de façon impressionnante pour les voyageurs arrivant en train.

Quand vous arrivez à Gérone, que ce soit en train, en voiture ou encore en bus, vous ne pouvez éviter cette fameuse voie ferrée aérienne… On y passe forcément pour accéder à la vieille ville et c’est justement sous cette voie que j’ai commencé à apercevoir les premières œuvres. Ici les artistes Boris Hoppek et Cyop & Kaf ont joué avec l’architecture, les personnages d’Hoppek soutiennent les poteaux et ceux du duo Cyop & Kaf naviguent dans un monde imaginaire très vertical…

 

Boris Hoopek - street art - characters - ville de gérone - voie ferrée - Photo ©Altinnov

Boris Hoppek – Milestone Project – Photo ©Altinnov

 

Oeuvre murale du duo street art Cyop et Kaf à Gérone - espagne - Photo ©Altinnov

Cyop & Kaf – Milestone Project – Photo ©Altinnov

 

Il y a quelque chose de très ludique à faire le tour des poteaux pour découvrir ce qu’ils cachent… Et il y a également quelque chose de très sportif puisqu’il faut éviter les vélos arrivant à toute vitesse sur la piste cyclable située au centre ! J’ai donc fait quelques trouvailles étonnantes… L’artiste Andrea Michaelsson alias Btoy  y a peint au pochoir les visages de Malcom X ou encore Martin Luther King. Le graffeur Barcelonais Kram a incrusté un de ses caractères sur une balançoire.

 

Martin Luther King par le street artiste barcelonais BToy - Oeuvre au pochoir à Gérone - Photo ©Altinnov

Martin Luther King par Btoy – Photo ©Altinnov

 

caractere street art du graffeur Barcelonais KRAM à Gérone - Photo ©Altinnov

KRAM – Milestone Project – Photo ©Altinnov

 

La fin de mon parcours sous les poteaux se conclue par la découverte d’une œuvre assez incroyable réalisée par Ome y Nadie… Une œuvre qui donne l’impression de se retrouver dans un univers sous-marin galactique ! Une sensation renforcée par celle d’enfermement que procure cet espace sous la voie.

 

Oeuvre d'Ome y Nadie à Gerone - nage sous la voie ferrée - Street art gerone - Photo ©Altinnov

Ome y Nadie – Gérone – Photo ©Altinnov

 

En restant proche du centre ville, je découvre quelques œuvres réalisées au début du projet Milestone… Leurs couleurs se sont fanées, mais elles ont le mérite d’exister… encore. La 1ère est celle d’Agostino Iacurci qui expose désormais dans le monde entier. Son homme en cage, un peu surrealiste, nous fait immédiatement penser aux cages à lapins qui ont poussé dans les années 70 dans les faubourgs de Gérone. Cet artiste expose désormais à Los Angeles, Prague, Séoul ses œuvres toujours aussi graphiques.

 

Homme en cage - Agostino Iacurci - Mileston Project Gérone - Photo ©Altinnov

Homme en cage – Agostino Iacurci – Photo ©Altinnov

 

Une autre œuvre également très graphique baptisée « resistència » a été réalisée par le collectif Reskate composé de Maria Lopez et Javier de Riba. On y voit un magnifique cheval qui a l’air de se battre avec une énorme mouche intérieure. Etant donné le nom de l’œuvre il est facile d’y voir une allégorie dans le combat que mènent les catalans pour l’indépendance contre la castille… Gérone étant le fief des indépendantistes catalans, la signification de l’œuvre semble évidente…

 

Oeuvre Resistència par le collectif Reskate Studio - Gérone - Milestone Project - Photo ©Altinnov

« Resistència » – Reskate – Photo ©Altinnov

 

L’œuvre la plus haute et proche du centre ville de Gérone est celle San Miguel Okuda, l’artiste urbain espagnol le plus populaire de par le monde. Comme dans toutes ses œuvres, il fragmente les corps en formes géométriques ultra-colorées. Son travail se reconnaît d’un simple coup d’œil. Cette œuvre baptisée « African housewife independence » située dans le quartier de Santa Eugénia est une réponse évidente à la population venue d’Afrique habitant le quartier… Elle trouve très bien sa place au milieu des œuvres à caractère social du festival Monar’t.

 

indépendance de la femme au foyer africaine par San miguel Okuda - Oeuvre Street art à Gérone pour le Milestone Project - Photo ©Altinnov

« African housewife independence » – San Miguel Okuda – Photo ©Altinnov

 

Avec des œuvres aussi monumentales, il est vrai que le Street Art à Gérone dévoile une autre facette… Afin de mieux appréhender ce fameux Milestone Project qui n’est absolument pas dénué de sens comme je l’avais un peu imaginé au départ, j’ai décidé de continuer en voiture afin d’accéder à des quartiers plus éloignés de la vieille ville. C’est avec surprise et plaisir que j’ai découvert une œuvre de Mohamed l’Gacham. Né à Tanger, il vit désormais à Barcelone. Issu du monde du graffiti Mohamed a ce don pour rendre magiques des scènes banales de la vie quotidienne. Il travaille à partir de photos anciennes et dans un style mêlant figuratif, classicisme et parfois impressionnisme… Il vient magnifier le quotidien comme pour nous dire de profiter de ces instants simples. Ici il a représenté un intérieur bourgeois, qui pourrait être celui de n’importe qui ayant conservé ses vieux meubles de famille.

 

Scène de la vie quotidienne par Mohamed L'Gacham- intérieur bourgeois - peinture Gérone - Milestone Project - Photo ©Altinnov

Mohamed l’Gacham – Milestone Project – Photo ©Altinnov

 

La fin de ma découverte de Gérone a été marquée par l’œuvre d’un artiste que j’apprécie tout particulièrement. De mère espagnole et de père Haïtien, il a vécu sa petite enfance en Espagne avant de parcourir le monde pour finalement s’installer aux Etats-Unis. Axel Void est à mes yeux un des plus grand artiste contemporain urbain, au même titre que Gonzalo Borondo ou encore Francisco Bosoletti… Ses œuvres se font rares… mais tellement percutantes. Je suis restée sans voix en découvrant ce triptyque morcelé sur le campus de l’Université de Gérone ! La scène est frappante, la couleur violente ! On y voit trois personnages mangeant au plus près d’un bol. Dans mon cerveau j’ai tout de suite fait le rapprochement avec les photographies que le réalisateur Carlos Saura avait prise en Espagne pendant la guerre civile. Il était alors simple photographe témoin d’une époque de pénurie et de privation de liberté. Certaines de ses photos représentaient des paysans devant un bol de soupe avec un quignon de pain à la main… J’ai voulu savoir si le sentiment ressenti devant cette œuvre n’était qu’une vue de mon esprit… J’ai alors découvert la phrase suivante d’Axel Void à propos de son œuvre : « S’il vous plaît, donnez-nous des guerres pour que nous puissions vraiment savoir quel goût a la nourriture. »

 

oeuvre street art monumentale à Gérone réalisée par Axel Void pour le Milestone Project - Photo ©Altinnov

Axel Void – Milestone Project – Photo ©Altinnov

 

Je vais conclure ma découverte du Milestone Project sur cette œuvre et vous laisser découvrir la suite, tout aussi époustouflante, quand vous visiterez Gérone !

 

Le Street Art à Gérone vaut-il le déplacement ?

Mille fois oui ! Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas ressenti une telle cohérence entre les œuvres, l’environnement social, culturel et urbain… Une interdépendance qui fait sens. A force de vouloir attirer les touristes à tout prix avec de l’art urbain, certaines villes finissent par perdre le fil et ne proposent qu’une succession d’œuvres « Waouhh » qui ne veulent pas dire grand chose. Le Street Art à Gérone redéfinit sérieusement la place essentielle de l’artiste dans notre quotidien et c’est vraiment une claque, croyez-moi ! Bien sûr vous me direz que le graffiti à Barcelone est roi, que l’on peu retrouver cette ambiance à Poblenou… À cela je vous répondrais que vous faites fausse route… Il y a peu de scène artistique comme celle de Gérone et ce serait vraiment dommage de vous en priver si vous êtes de passage sur la Costa Brava… Qui plus est la vieille ville est magnifique et les plages pas très éloignées 😉

J’espère que cette découverte vous a enthousiasmé tout autant que moi ! Alors si vous avez aimé, partagez bien sûr, cela me fera plaisir 😉

De mon côté je pars à la découverte pour mon prochain article d’une patinoire en transition !

A très bientôt pour de nouvelles aventures urbaines.

Séverine